L’impact croissant des étudiants étrangers sur le marché locatif français
Le marché locatif dans les grandes villes universitaires françaises connaît une mutation progressive depuis une quinzaine d’années. Parmi les moteurs de ce changement : l’arrivée massive d’étudiants étrangers. Avec plus de 400 000 étudiants internationaux inscrits en 2023 selon Campus France, la France est le 6e pays au monde à en accueillir le plus. Et cette présence massive n’est pas sans conséquences sur l’immobilier locatif, particulièrement dans les métropoles à forte concentration universitaire comme Paris, Lyon, Toulouse ou encore Montpellier.
Comment ce réservoir d’étudiants étrangers influence-t-il la dynamique du marché locatif ? Quels sont les défis pour les bailleurs, les investisseurs et les collectivités locales ? Décryptage d’un phénomène en pleine expansion et aux implications multiples.
Un afflux international soutenu par des politiques publiques attractives
Depuis la Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) de 2018 et les réformes du programme « Bienvenue en France », la France renforce son attractivité universitaire. Les formations en anglais, les aides spécifiques et le statut de résidence facilité favorisent l’accueil d’élèves venus du monde entier — principalement d’Afrique francophone, de Chine, d’Inde, et de pays européens.
Cette ouverture a mécaniquement entraîné une augmentation de la demande locative dans les villes universitaires. Les étudiants internationaux recherchent majoritairement des logements meublés, accessibles et proches des campus, créant une pression exponentielle sur le segment des petites surfaces (studios, T1 et chambres en colocation).
Une forte concentration dans les villes étudiantes majeures
Certains pôles universitaires concentrent à eux seuls une grande partie de la demande générée par les étudiants internationaux :
- Paris : près de 100 000 étudiants étrangers chaque année, avec une tension locative généralisée, en particulier dans les arrondissements proches des universités comme le 5e ou le 13e.
- Lyon : deuxième ville étudiante de France, avec une offre universitaire dense et centralisée. Les quartiers de la Presqu’île, de Villeurbanne et du 7e arrondissement y sont très recherchés.
- Toulouse : la ville rose attire en raison de son excellence en aéronautique et ingénierie. Le centre-ville, le quartier Rangueil et les abords de l’université Paul Sabatier sont particulièrement tendus.
- Montpellier et Bordeaux : universités historiques, qui enregistrent une forte poussée migratoire étudiante, avec des loyers moyens en constante progression.
Cette concentration territoriale génère un déséquilibre entre l’offre et la demande dans ces zones spécifiques, favorisant la pratique de loyers élevés, voire de surenchères entre étudiants cherchant à se loger à la rentrée universitaire.
Une opportunité lucrative pour les investisseurs immobiliers
Face à cette demande régulière et stable, le marché locatif étudiant devient un créneau intéressant pour les investisseurs particuliers. Le rendement locatif sur les petites surfaces est souvent plus élevé que sur de grands appartements, tout en bénéficiant d’une vacance faible due à la rotation annuelle des étudiants. De plus, certains dispositifs fiscaux comme le régime LMNP (Loueur en Meublé Non Professionnel) permettent de réduire l’imposition sur ces revenus locatifs.
Les investisseurs peuvent profiter :
- De revenus réguliers via la location meublée courte ou longue durée
- D’une gestion simplifiée, surtout en recourant à des résidences étudiantes gérées (CROUS ou privée)
- D’une valorisation accrue dans les quartiers universitaires bien desservis
Une pression sur les loyers et sur l’offre locative classique
Si la présence massive d’étudiants étrangers représente une aubaine pour les propriétaires, elle engendre aussi des effets pervers pour les habitants locaux. En particulier, la transformation progressive d’un parc locatif traditionnel en logements étudiés pour ce public entraîne une pénurie pour d’autres profils : jeunes actifs, familles monoparentales ou retraités à revenus modestes.
Dans certains quartiers de Paris ou de Bordeaux, des logements de 20 à 25 m² dépassent aujourd’hui les 900 € mensuels, un niveau difficilement soutenable pour les étudiants issus de milieux modestes ou pour les primo-arrivants sans garant en France.
Plus largement, cette tension accentue la précarité du logement étudiant, malgré les mesures mises en place telle que la Garantie Visale (Action Logement), qui couvre les loyers impayés pour les jeunes de moins de 30 ans. Toutefois, la demande dépasse puissamment l’offre, et des milliers d’étudiants sont chaque année encore contraints de chercher une solution d’hébergement de dernière minute.
Les réponses des collectivités locales et de l’État
Face à cette pression, les collectivités commencent à prendre des mesures. Certaines métropoles universitaires adoptent des documents d’urbanisme favorables aux projets de résidences étudiantes. D’autres soutiennent le financement de projets mixtes (logements + commerces de proximité + espaces culturels).
Le Plan 60 000 logements étudiants mis en œuvre par l’État depuis 2022 ambitionne de créer de nouveaux hébergements d’ici 2027. Ce programme s’inscrit dans le Code de l’éducation (Article L.821-1 et suivants) et mobilise les bailleurs sociaux, les universités et les acteurs privés pour développer une offre modulaire, accessible et bien située.
Vers une diversification des solutions de logement étudiant
À côté des structures étudiantes traditionnelles comme les résidences CROUS, un nouveau marché se développe :
- Le coliving : espaces de vie partagés, souvent meublés et équipés, avec des formules « all inclusive » destinées autant aux étudiants internationaux qu’aux jeunes actifs.
- Les résidences privées haut de gamme : axées sur des services comme la salle de sport, l’accueil 24h/24 ou le ménage hebdomadaire.
- La location saisonnière orientée étudiants : de septembre à juin, avec des plateformes comme Studapart ou Immojeune favorisant les contrats courts et simplifiés.
Ces modèles répondent aux besoins d’une population mobile, internationale et demandeuse de flexibilité. Ils participent également à l’évolution globale des attentes sur le marché immobilier.
Des enjeux à surveiller pour les années à venir
Alors que la mobilité internationale continue de croître et que de nombreux campus nouent des accords avec des universités étrangères, la pression sur les logements étudiants pourrait encore s’intensifier. Cela appelle à :
- Une régulation plus fine des loyers dans les zones tendues (en cohérence avec la Loi ALUR et l’encadrement des loyers en zones tendues, article 140 de la loi ELAN 2018)
- Un développement plus ambitieux d’infrastructures dédiées aux étudiants, pour éviter la saturation du parc existant
- Une meilleure information des locataires étrangers sur leurs droits, aides possibles, et obligations contractuelles
In fine, la place des étudiants étrangers dans le marché immobilier devient un enjeu stratégique pour les politiques urbaines. En structurant leur accueil et en planifiant une offre locative adaptée, les grandes métropoles françaises peuvent non seulement renforcer leur attractivité, mais aussi préserver un équilibre social et économique essentiel.